Robot TED : Prometteur mais pas encore prêt à remplacer le tracteur

« Des machines encore en phase d’expérimentation »

Le robot TED de Naïo Technologies est un robot enjambeur viticole qui intègre une large gamme d'outils modulaires. Une première version de cette machine arrive dans les vignes françaises en 2018. Après une dizaine de machines commercialisées et 3 saisons de tests dans les vignobles Français, Naïo lance en 2021 une seconde version de ce robot. Les Grands Chais de France (GCF), qui regroupe plus de 3000 hectares de vignoble en France, deviennent partenaires de Naïo dès 2018 en intégrant la première version de TED sur un de leur domaine. Aujourd’hui c’est Pierre-Edouard Boyoud, chef de culture au château de la Galinière, second vignoble de GCF a avoir expérimenté TED, qui nous raconte son expérience avec les deux versions du robot TED.

Le Château de la Galinière

Situé juste à coté de la Sainte Victoire, le domaine la Galinière est composé de 105 hectares certifiés biologiques, dont 60 hectares de plantier.

Le domaine de la Galinière et deux autres domaines ont été sélectionnés par GCF pour expérimenter les robots BAKUS et TED. Dans un premier temps sous forme d’une location en prestation de service par Naïo, puis sous forme d’un achat de la machine.

Pierre-Edouard Boyoud est le chef de culture du vignoble et est en charge du suivi de la machine. Convaincu que l’avenir de la viticulture passera par la robotique, il avait été conquis par le concept de la première version du robot TED. En revanche, lorsque 60 hectares supplémentaires de plantier ont été repris, les priorités du domaine ont changé. Il s’est alors rendu compte que le robot ne s’intègre pas encore dans un contexte où la productivité était devenue la priorité.

Le viticulteur et son vignoble

Nom : Pierre-Edouard Boyoud

Âge : 48 ans

Expérience : BTS viticulture, 20 ans d’expérience en tant que chef de culture, dont 15 ans dans des vignobles biologiques

Localisation : France / Provence-Alpes-Cöte d’Azur / Châteauneuf-le-Rouge

Domaine : 105 ha dont 60 ha de plantier, en 2,5 mètre

Certification : 100% BIO depuis 2011 / HVE3

Tracteurs : Fendt et Lamborgini

Bons et mauvais points

+ Prix attractif

+ Réactivité du constructeur

+ Puissance électrique et simplicité

+ Guidage précis

- Taux d'erreur et maturité du produit

- Autonomie de la batterie

- Travail dans les plantiers

- Moins de productivité qu’un tracteur

Données techniques

Robot : TED V2 / Naïo Technologies / 2021

Heures de fonctionnement : 40h / 20 jours

Poids : 1700 - 2000 kg

Energie : Electrique / 6-7 h de travail / 7 h de rechargement

Outils : Lame interceps / Doigts Kress/ Disque émoteur

Caractéristique remarquable : Disque Ecocep / Nouvelle télécommande

Prix brut : 130 000 € + 3 500€ pour les lames + 2000€/an

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Pourquoi le groupe GCF a-t-il décidé d’investir dans la robotique agricole ? Quels sont les robots que vous avez essayé ?

Le groupe des Grands Chais de France (GCF) a commencé à s’intéresser de près à la robotique agricole en partant du constat que la main d’œuvre était de plus en plus rare sur l’ensemble de ses vignobles et qu’il fallait trouver une solution pour pallier ce problème. Ensuite, le Groupe a toujours été précurseur dans le développement de la robotique en France. La robotique est au cœur de notre stratégie de développement, c’est pourquoi lorsque ces technologies sont apparues dans les vignes, le groupe n’a pas hésité à devenir partenaire de développement avec certains constructeurs.

En 2018, le groupe GCF par le biais de Matthieu Grassin, responsable propriétés et vignobles, est devenue partenaire de Naïo Technologies. A cette époque, TED était un des rares robots déjà présent sur le marché. GCF a donc décidé de devenir partenaire de développement en installant un premier TED sur un vignoble pilote.

En 2020, c’est notre vignoble qui est sélectionné pour recevoir un second projet pilote, avec un second TED.

En 2021, après une première saison, notre robot est remplacé par sa seconde version. La même année, on organise sur le domaine une démonstration avec plusieurs machines du marché, comme BAKUS de Vitibot, ALPO de Sabi Agri et la deuxième version de TED, pour avoir une meilleure vision globale du marché.

Plus récemment en Juin 2022, le groupe a décidé de prendre un BAKUS en location, dans un vignoble situé dans les pays de Loire.

TED au vignoble de la Galinière, 2021. Photo de Paul Pampuri

Pourquoi votre vignoble a été selectionné pour reçevoir le robot ? Avez-vous acheté la machine ?

Avec 45 hectares de vignes en culture biologique et la reprise plus récente de 60 hectares de plantier, le travail du sol représente un enjeu considérable sur notre domaine. Pour accueillir le projet, il fallait avoir un parcellaire bien découpé, avec de grandes parcelles, et une équipe intéressée et motivée pour suivre l’évolution du robot. C’est pourquoi au moment d’installer un second projet pilote, notre vignoble est apparu comme une évidence.

En 2020, la première version de TED arrive sur notre vignoble sous forme d’une prestation de service. Un salarié de Naïo venait opérer la machine et nous payions chaque mois en fonction du chantier réalisé. La première version de TED m’a vraiment conquis par le concept mais on sentait que la mécanique était trop légère pour travailler le sol, le robot manquait d’autonomie de batterie et n’intégrait pas de réglage différentiel entre le porte outil droit et gauche.

Le bilan de la première saison d’utilisation fut mitigé et au moment de renouveler la machine nous avons hésité. Finalement, les nombreuses évolutions que semblait avoir apporté le constructeur à sa seconde version nous ont convaincu de poursuivre avec TED. Quant à la seconde version, nous l’avons acheté 130 000€ en Juin 2021, et c’est un de nos employés qui l’opère.

Première version de TED, Château Cheval Blanc, 2020. Photo de Maxence

Deuxième version de TED, Domaine Hennessy, 2022. Photo de Tristan Dubreuil

Comment suis-tu l’évolution de ton robot, quelles ont été les plus grosses améliorations ?

Avec le groupe , on a mis en place un tableau de suivi de tous les robots du groupe, c’est comme ça qu’on a suit les projets et mesure l’évolution des machines.

Les deux versions du robot sont difficilement comparables tant le concept et l’architecture ont changés, je pense qu’il est plus pertinent de parler de comment la seconde version a évolué depuis qu’on l’a reçu.

Quand on reçoit les premières séries d’une machine, le lancement est toujours compliqué puisqu’on est béta testeur. On a eu de nombreux réglages à effectuer pour tout ce qui est du guidage. Durant les premiers mois précédant la livraison, j’ai eu le sentiment que le constructeur manquait encore de retour d’expérience sur sa machine et son fonctionnement en conditions réelles.

Pour les plus grosses amélioration, il y a l’autonomie des batteries. A ses début, la machine ne pouvait effectuer que 4h à 5h de travail par jour. Après avoir corrigé un défaut de fabrication, maintenant la machine peut effectuer 7h à 8h avant d’atteindre ses 20% de réserve.

On a aussi eu des problèmes de surchauffe du boitier sécurité lorsque la machine travaillait sous 28°C et avec 10% de pente, des conditions loin d’être critiques. Le constructeur a redimensionné son ventilateur et depuis on a plus de problème d’arrêt.

Plus récemment, on a reçu une nouvelle télécommande qui vient en remplacement de l’ancienne qui subissait des interférences de signaux et déclenchait des arrêts sécurité. On en attend beaucoup sachant que l’ancienne avec son tyro avaient une portée de 20 mètres uniquement. L’opérateur devait coller la machine et ne pouvait pas effectuer d’autre tâche en parallèle sans que la sécurité se déclenche. La nouvelle télécommande semble plus robuste et moins contraignante là dessus, il faut qu’on la teste.

Nouvelle télécommande avec bouton d’arrêt d’urgence intégré et harnais, Photo de Pierre-Edouard.

As-tu dû changer la façon dont tu travailles pour intégrer le robot sur ton vignoble ?

Sur notre vignoble, on a eu très peu de modification à apporter sachant qu’on travaille le sol mécaniquement et depuis plus de 8 ans. Le robot a demandé peu de changement sur nos parcelles car nos rangs sont globalement droits et des tuteurs étaient déjà présents pour protéger les jeunes plantiers.

Quant à nos méthodes de travail, on a fait le choix de rajouter le robot par dessus notre itinéraire technique déjà en place. A ce stade de développement de la machine, il était impossible pour nous de bouleverser toutes nos habitudes et de baser notre stratégie de travail du sol sur le robot. Nous avons 105 hectares à travailler 3 à 4 fois par an, avec seulement 4 tractoristes. Sachant que la logistique du robot reste chronophage et que son utilisation nécessite toujours un tractoriste à plein temps pour le suivre. Et tant que le débit de chantier avec le robot est inférieur à celui du tracteur, il sera difficile de faire autrement.

Pour préserver notre débit de chantier, on a fait le choix d’ajouter deux à trois passages supplémentaires de robot pour améliorer notre gestion des mauvaises herbes dans les parcelles subissant plus de pression. Le robot ne remplace pas le tracteur, il s’intègre plutôt en complément de celui-ci dans un contexte d’entretien du sol avec un travail plus régulier et plus fin.

D’une part cette situation est confortable puisqu’on ne bouleverse pas nos méthodes de travail, d’autre part j’ai conscience qu’on n’exploite pas tout le potentiel de la machine.

TED avec ses doigts Kress, 2021. Photo de Paul Pampuri

Comment fais-tu travailler le robot ? Quelles tâches ? quelles surfaces ?

Sur le domaine on a de la chance, la majorité de nos parcelles sont grandes. On a une partie du domaine avec des parcelles qui font jusqu’à 9ha, qui sont collées les unes aux autres, relativement plates et surtout clôturées. Des conditions idéales pour que le robot puisse bien travailler, en moyenne on peut réaliser 3 ha par jour.

Le robot travaille uniquement sur de l’entretien du sol et on l’équipe de différents outils tel que : Lames interceps / Doigts Kress/ Disques émotteurs

C’est avec les doigts Kress qu’on a la meilleure productivité. On les utilise à 4km/h ce qui permet d’obtenir une productivité de 1ha/h sur le papier, avec les tournières et les arrêts robot, on est plus aux alentours de 0,80ha/h.

Avec les outils plus agressifs tels que les lames interceps, on travaille à 2,5km/h et uniquement dans les vignes installées. On a essayé de travailler avec des lames interceps dans les plantiers, mais on a subit trop de dégâts car l’outil fonctionne uniquement avec les palpeurs mécaniques. Selon moi, ces outils sont trop agressifs et le robot n’a pas encore assez de retour sur son propre travail pour effectuer ce travail. J’ai commandé des nouveaux disques ecoceps pour venir travailler sur nos plantiers, j’attends de les recevoir pour vous faire un retour.

Cette année on a fait moins de 10 ha avec la machine. C’est vraiment en dessous de ce qu’on devrait faire avec une telle machine. J’ai identifié deux raisons qui explique le manque d’utilisation du robot. Le premier c’est qu’avec la reprise récente de 60 hectares de plantier sans doubler nos effectifs, le temps qu’on peut consacrer à la machine à fortement diminué. De plus, les pannes qui sont survenues la première saison, ont fini par démotiver les opérateurs qui préfèrent maintenant sortir le tracteur pour être sûr de finir le travail dans les temps.

En tant que responsable de culture, la productivité reste ma priorité. Je comprends le potentiel de la machine, mais je vois aussi le temps qu’il faut lui consacrer pour obtenir de bons résultats et ce temps on ne l’a plus. Il m’est donc difficile de demander à mes gars d’augmenter leur débit de chantier et d’en même temps sortir la machine plus régulièrement.

Pierre-Edouard nous présente son robot TED et comment il voit la machine évoluer sur le domaine de la Galinière

quelle est la différence entre le travail du tracteur et celui du robot ?

Sur notre vignoble, la productivité reste l’objectif numéro un et à l’heure actuelle, il n’y a pas débat le tracteur est meilleur.

De ce que j’ai vu dans nos 60 hectares de plantiers, le travail au tracteur est plus précis et s’adapte mieux que le robot. Je suis convaincu que le robot réalise un travail plus fin et a une navigation plus précise, mais avoir un opérateur sur le tracteur ça change tout. Pour le moment le robot n’a aucun retour d’information ni aucun moyen de contrôle sur ce qu’il est en train de faire, et vu que l’opérateur est derrière, il anticipe moins les obstacles qui peuvent survenir.

Après c’est vrai que les moteurs électriques de la machine sont plus silencieux et on n’a pas les odeurs de gasoil. D’ailleurs, je pense qu’on pourrait facilement économiser 8-10L de GNR à l’hectare par passage.

Comment vois-tu évoluer ton robot dans les années à venir ?

Par rapport au robot actuel, j’aimerais qu’il devienne plus autonome et plus robuste. Pour le moment la fréquence d’arrêts et les pannes nous pénalisent. Sans ses arrêts, on pourrait atteindre une productivité semblable à celle des tracteurs, les opérateurs seraient alors plus motivés pour sortir la machine. Ensuite si on arrive à avoir une machine plus autonome, l’opérateur aurait plus de flexibilité et pourrait opérer plusieurs machines simultanément. Mais avant cela, il faut vraiment que la machine progresse sur l’analyse de son travail et de son environnent.

Au niveau des outils, j’aimerais intégrer sur cette machine des interceps électriques. Avec une sensibilité accrue au niveau des outils, je pense qu’on protégerait mieux les pieds de vigne et augmenterait la qualité du travail avec les lames. J’ai vu ce système sur une autre machine lors de la démonstration organisée au vignoble et je suis persuadé que ça nous aiderait beaucoup dans les plantiers.

Quant aux autres tâches que j’aimerais automatiser sur le vignoble, idéalement je pense aux traitements et à la relevée de données dans le vignoble. On pourrait notamment traiter au moment le plus opportun comme la nuit par exemple. Mais c’est encore un peu tôt pour qu’on puisse déléguer ses activités de traitements aux robots tant elles sont techniques et cruciales pour la récolte.

D’un point de vue personnel, je ne suis pas convaincu qu’on aille dans la bonne direction avec des robots qui ambitionnent de remplacer les tracteurs. Je crois plutôt qu'une flotte de plus petites machines serait plus adaptée à notre vignoble et à nos besoins. Des robots moins lourd, moins puissant donc moins énergivore, moins rapide et plus autonome, qui nous permettraient d’entretenir le sol en gratouillant régulièrement entre et sur le rang. Avec l’équivalent d’un tractoriste pour gérer et superviser la flotte de robot.

Ted au vignoble de la galinière, 2021. Photo de Paul Pampuri

TED au vignoble de la Galinière, 2021. Vidéo de Naïo Technologies

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